|
|
|
De
l'amour et de la mer
« Ceux
qui ont voulu nous représenter l’amour et ses caprices l’ont comparé
en tant de sortes à la mer qu’il est malaisé de rien ajouter
à ce qu’ils en ont dit. Ils nous ont fait voir que l’un et l’autre
ont une inconstance et une infidélité égales, que
leurs biens et leurs maux sont sans nombre, que les navigations les plus
heureuses sont exposées à mille dangers, que les tempêtes
et les écueils sont toujours à craindre, et que souvent
même on fait naufrage dans le port. Mais en nous exprimant tant
d’espérances et tant de craintes, ils ne nous pas assez montré,
ce me semble, le rapport qu’il y a d’un amour usé, languissant
et sur sa fin, à ces longues bonaces, à ces calmes ennuyeux,
que l’on rencontre sous la ligne : on est fatigué d’un grand
voyage, on souhaite de l’achever ; on voit la terre, mais on manque
de vent pour y arriver ; on se voit exposé aux injures des
saisons ; les maladies et les langueurs empêchent d’agir ;
l’eau et les vivres manquent ou changent de goût ; on a recours
inutilement aux secours étrangers ; on essaye de pêcher,
et on prend quelques poissons, sans en tirer de soulagement ni de nourriture ;
on est las de tout ce qu’on voit, on est toujours avec ses mêmes
pensées, et on est toujours ennuyé ; on vit encore,
et on a regret à vivre ; on attend des désirs pour
sortir d’un état pénible et languissant, mais on n’en forme
que de faibles et d’inutiles. »
Maximes
et Réflexions diverses, Réflexions diverses, VI.
|