« Dans nos combats d’aujourd’hui, un particulier n’a guère de confiance qu’en la multitude ; mais chaque Romain, plus robuste et plus aguerri que son ennemi, comptait toujours sur lui-même ; il avait naturellement du courage, c’est-à-dire de cette vertu qui est le sentiment de ses propres forces.
    « Leurs troupes étant toujours les mieux disciplinées, il était difficile que, dans le combat le plus malheureux, ils ne se ralliassent quelque part, ou que le désordre ne se mît quelque part chez les ennemis. Aussi les voit-on continuellement, dans les histoires, quoique surmontés dans le commencement par le nombre ou par l’ardeur des ennemis, arracher enfin la victoire de leurs mains.
Leur principale attention était d’examiner en quoi leur ennemi pouvait avoir de la supériorité sur eux, et d’abord ils y mettaient ordre. Ils s’accoutumèrent à voir le sang et les blessures dans les spectacles des gladiateurs, qu’ils prirent des Etrusques.
    « Les épées tranchantes des Gaulois, les éléphants de Pyrrhus, ne les surprirent qu’une fois. Ils suppléèrent à la faiblesse de leur cavalerie, d’abord, en ôtant les brides des chevaux, pour que l’impétuosité n’en pût être arrêtée ; ensuite, en y mêlant des vélites. Quand ils eurent connu l’épée espagnole, ils quittèrent la leur. Ils éludèrent la science des pilotes par l’invention d’une machine que Polybe nous a décrite. Enfin, comme dit Josèphe, la guerre était pour eux une méditation ; la paix, un exercice.
    « Si quelque nation tint de la Nature ou de son institution quelque avantage particulier, ils en firent d’abord usage ; ils n’oublièrent rien pour avoir des chevaux numides, des archers crétois, des frondeurs baléares, des vaisseaux rhodiens.
    « Enfin, jamais nation ne prépara la guerre avec tant de prudence et ne la fit avec tant d’audace. »

Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence,II.

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